Ne perdez pas votre temps à chercher les termes Hutsi dans le dictionnaire. Vous ne le trouverez pas car ce mot est un tabou qu’on ne prononce pas impunément sans se voir soupçonné de tous les crimes du monde. De la même façon, ne cherchez pas le Hutsiland sur la carte du monde, car ce pays n’existe pas. Et pourtant les Hutsi existent ! Dans l’imaginaire public. C’est leur histoire que nous allons vous raconter. Lisez-la donc et vous comprendrez qui sont ces hommes et ces femmes, ces filles et ces garçons, ces enfants qui naissent dans l’amour mais vivent dans la honte, dans la peur et ont appris à simuler, à respirer différemment de peur de gonfler leur nez ou de trop le rétrécir. Ces citoyens sans identité ni passeport sont souvent obligés d’en posséder deux pour gagner leur liberté sociale ou politique, pour échapper à la mort, aux massacres ; ces citoyens qui renient leurs origines et leur mixité tant est grande la honte que cette « impureté » leur procure. La honte, la peur de l’indignité. Il suffit de les observer au milieu de leurs semblables. Leur regard est chancelant, oblique, fuyant, craintif et furtif. Ils ont peur de fixer les yeux de quiconque les reconnaîtrait ou leur poserait des questions sur ce qu’ils sont ou ne sont pas. Leur pays est une cage virtuelle où ils ont été enfermés dès leur naissance et dans laquelle ils mourront, sans jamais revendiquer l’appartenance à une nation à eux. Ils ont peur d’être reconnus au coin de la rue. En classe, à l’église du village, dans les rues de leur capitale rouge. De sang. Kigali ! Ils se cachent pour pleurer les leurs. En période chaude comme on dit chez nous, ils se terrent ou disparaissent, se rapetissent pour être invisibles, changent de cachette selon le nez de leur poursuivant. Cela fut le cas au cours de la plus grande tragédie que le Rwanda ait connue. 1994. Ce livre vous raconte la double peine de ces enfants de l’amour que certains ont pendant longtemps considérés comme des enfants de la trahison et de la honte. HUTSITUDE, Au nom du père et de la mère. Un livre d’entretiens intimes entre l’auteur et des Rwandais-es dits « Mélangés », des « Deux sangs-deux héritages » comme il les appelle. Ce terme inclut tous les Rwandais-es qui, biologiquement, culturellement ou idéologiquement, se sentent équidistants aussi bien des Hutu que des Tutsi du fait de leurs origines biologiques mixtes, leur parenté par alliance, ou tous ceux qui luttent pour une réconciliation paritaire et authentique entre les deux principaux segments communautaires du Rwanda. À partir de leurs expérience respectives, les « additionnés » ont, parfois en une seule phrase, confié leurs peurs, leur honte et les ambiguïtés liées à leur origine mixte hutu-tutsi dans un pays où le sang a coulé à la seule évocation de l’origine ethnie. Que peut être, demain, le rôle de ces mal-aimés, ces hybrides tant méprisés et décriés, souvent soupçonnés de toutes les trahisons au seul motif de leur soit-disant impureté biologique dans un pays aussi racialiste que le Rwanda ? Un code de conduite leur est proposé par l’auteur afin de redresser la tête, de ne plus avoir peur et de se libérer définitivement pour participer tête debout à la réconciliation entre leurs deux communautés d’origine. Sans tomber dans le piège de catégorisation qu’ils doivent justement combattre.