La maladresse est un concept capricieux : le mot dsigne une qualit propre un individu, mais il peut aussi s'employer comme synonyme du mot accident. Et, de fait, la maladresse oscille de faon indcidable entre l'intrinsque et le fortuit, entre l'individualit et la contingence, entre le quotidien et ce qui, justement, s'en dmarque. Comment a-t-on pens la maladresse, et dans quels contextes Parcourant textes philosophiques et littraires, ce livre se penche sur l'mergence tardive d'un concept - le mot "maladresse" ne devient vraiment usuel qu'au XVIIIe sicle - pour ensuite en retracer les ramifications sociales et conceptuelles. Si au XVIIIe sicle le maladroit est ostracis des cercles aristocrates, l'art d'taler la tache devient au sicle suivant la marque de fabrique du dandy fashionable. La maladresse revendique d'un Rastignac lui garantit un succs social impensable sous l'Ancien Rgime. Le roman d'apprentissage regorgera de jeunes maladroits : et les gaffes d'un Julien Sorel, du jeune Rastignac, ou du premier Lucien de Rubempr sont autant de preuves tacites de leur nave innocence, comme si la gaucherie, gage de leur virginit sociale, tait aussi la preuve d'une sincrit rare dans un monde contrefait - mais cette sincrit, tant involontaire, est toute questionnable... Il n'en tait pas de mme au sicle prcdent, o le pauvre Jean-Jacques regretta longtemps le verre d'eau renvers sur Mademoiselle de Breil, gaffe qu'elle ne lui pardonna jamais, et qui enterrera durablement ses espoirs amoureux. N un sicle trop tt pour pouvoir incarner le pote maudit (l'albatros baudelairien est, lui aussi, "maladroit"), Jean-Jacques Rousseau a nanmoins pens la maladresse dans toutes ses contradictions, dcrivant la sienne avec force dtails, la justifiant, rattrapant par l'crit les dgts causs par la parole maladroite.