J’ai avancé jusqu’au bar où s’échouaient plusieurs naufragés: la vie les avait autant assoiffés que moi. Là, j’ai commandé un whisky presque par instinct. Le serveur m’a lâché un gentil sourire, trop poli pour être sincère, avant de déposer mon verre sur le vernis du comptoir. Je me suis empressé d’envoyer le breuvage âcre et doré dans mon gosier et j’ai tout de suite senti sa chaleur réanimer mes entrailles. Une lancinante musique d’ascenseur vrillait l’espace. Des serveuses aux cheveux noués et au sourire lisse passaient souvent entre les tables. Ça et là, quelques chtouillards qui s’ignoraient discutaient de football… rien ne sortait vraiment de l’ordinaire. La même scène se répétait tous les soirs. Des couples guindés arrivaient dans des bruits de talons aiguilles qui claquaient sèchement au sol. La salle s’animait alors, par accoups, dans un brouhaha de foire qui montait et descendait. Dans cette ambiance brumeuse, de vieilles cagoles botoxées fumaient en silence. Malgré la semi-obscurité de ce lieu de déboires, j’arrivais à distinguer leurs cigarettes trop fines, empourprées et maculées de rouge à lèvres. De l’autre côté du bar, quelques nymphettes gloussaient en s’agglutinant sur les torses velus de leurs apollons. Elles semblaient atteintes de cette abrutissante maladie que l’on appelle « amour ».