RééditionLes médias français se proclament « contre-pouvoir ». Mais la presse écrite et audiovisuelle est dominée par un journalisme de révérence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché, par des réseaux de connivence. Le livre de Serge Halimi aura vingt-cinq ans l’année prochaine... Depuis, quelques « petites choses » ont changé. Ou pas : la plupart des journalistes-éditocrates qu’il cite sont toujours en activité, même si, pour beaucoup, la fin de carrière se dessine.Ce qui a changé bien sûr, c’est l’affaissement de l’idéologie du juste-milieu libéral, même si avec Macron le doute reste permis. Mais surtout la perte d’hégémonie des grands journaux bourgeois, la quasi-saturation de l’espace médiatique par des questions « de société » et l’apparition de nouveaux « influenceurs », principalement nichés dans les réseaux sociaux. Un nouvel avant-propos signalera ce genre de chose en même temps qu’il rappellerait que l’hégémonie reste bourgeoise et que les médias reflètent toujours autant, tous supports confondus, le point de vue des classes moyennes cultivées. Au risque d’ailleurs pour eux d’être pris pour cible et associés aux élites. Ce point de vue, rare il y a vingt-cinq ans, est devenu lieu commun aujourd’hui, d’autant que la droite, voire l’extrême droite, l’a repris et le martèle avec un certain succès international (Trump). C’est la mauvaise récupération de ces analyses. La popularité du thème des « fake news » sera également évoquée. En annexe figurent les commentaires critiques ou haineux du livre par les journalistes que l’auteur attaque. Avec le temps, presque tous ont réagi, et c’est assez drôle… Serge Halimi est écrivain et journaliste. Il dirige Le Monde diplomatique depuis 2008. Extrait 1 : « C’est un peu une vue utopique de vouloir différencier rédaction et actionnaire », expliqua, en septembre 2005, Édouard de Rothschild aux journalistes de Libération après avoir acquis environ 40 % du capital de ce journal. Extrait 2 : S’adressant en août 1996 aux cadres supérieurs de Thomson-CSF, qu’il cherchait alors à séduire, Jean-Luc Lagardère leur explique : « Un groupe de presse, vous verrez, c’est capital pour décrocher des commandes. » Deux mois plus tard, il décroche en effet – provisoirement – le contrôle de Thomson-CSF. Contre un « franc symbolique » et aux dépens d’Alcatel-Alsthom qui s’était imprudemment dessaisi de son petit empire de presse en le cédant à Havas. À défaut des cadres de Thomson, l’État en tout cas (c’est-à-dire à l’époque le gouvernement d’Alain Juppé) avait été séduit par le très influent propriétaire du groupe Matra-Hachette. Ce dernier symbolisait à merveille l’entrepreneur qui, à force d’écouter la radio dont il était propriétaire (Europe 1), en répercutait sans effort la musique lancinante : « La concurrence est féroce, expliquait-il, le monde devient un village et les entre- prises qui sont les mieux adaptées pour se battre et pour gagner sont celles qui n’ont pas à supporter le poids et la contrainte de l’État. Je n’ai jamais fait de politique et je n’en ferai jamais. Mais je tiens à dire que le courage du Premier ministre […] Extrait 3 : Difficile d’en dire autant de Serge Dassault, propriétaire de soixante-dix titres de périodiques, dont Le Figaro et L’Express . À quoi lui servent-ils dès lors que la fabrica- tion et la commercialisation d’avions de guerre constituent déjà une activité prenante pour un octogénaire ? L’homme qui contrôle avec Lagardère 70 % des titres édités en France a répondu : il entend « faire passer un certain nombre d’idées saines […]. Par exemple, les idées de gauche sont des idées pas saines et nous sommes en train de crever à cause des idées de gauche qui continuent. […] Les syndicats français n’ont pas compris que lorsqu’ils disent défendre les travailleurs, ils les condamnent. Aujourd’hui la rigidité de l’emploi est en train de casser toute l’économie française ». Extrait 4 : Déjà, en avril 1987, pour souffler la Une à la dream team de Jean-Luc Lagardère et de Christine Ockrent, Francis Bouygues, Patrick Le Lay et Bernard Tapie s’étaient associés et avaient proclamé leur attachement à la culture qui « exprime le besoin et le plaisir de vivre ensemble ». Ils précisaient par ailleurs : « Quand on est une grande chaîne de télévision comme la Une, il faut savoir de temps en temps oublier l’audimat. » Toutefois, sitôt la chaîne conquise – ou plutôt « entrée dans la modernité », selon les mots du ministre François Léotard –, Francis Bouygues jeta bas le masque du philanthrope : « Nous sommes privés. Nous sommes évidemment une chaîne commerciale. Il y a des choses que nous ne souhaitons pas faire, par exemple : du culturel, du politique, des émissions éducatives. » Patrick Le Lay complétera : « On ne vit plus qu’avec les chiffres de l’audimat. […]. Passer une émission culturelle sur une chaîne commerciale à 20 h 30, c’est un crime économique ! C’est quand même à l’État d’apporter la culture, pas aux industriels